Là où chantent les écrevisses – Delia Owens

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« Une différence qui n’offre aucun sens à la raison n’est pas une différence », Goethe

Là où chantent les écrevisses, Delia Owens

J’ai beau entendre dire qu’une œuvre est essentielle, que c’est un chef d’œuvre en son genre, ce n’est pas pour autant que je vais me jeter à corps et à cri sur elle. Cela aura plutôt l’effet inverse. Et si j’étais déçue ? Cela voudrait il dire que je n’ai pas l’intelligence ou le goût pour comprendre ? Ou que que mes exigences étaient si hautes devant tant de retours dithyrambiques qu’il ne pouvait qu’en être autrement ? Je suis fataliste et j’aime à me croire pas trop idiote, je vais plutôt miser sur la solution deux. Et je dois me confesser, je n’ai pas aimé Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain.

Et puis, le cinéma s’en mêle et fait basculer la balance en faveur du support originel, l’histoire brute et fournie, celle de la matière première, le roman. Parce que je m’étais dit que cet été marquerai mon grand retour dans les salles obscures, profitant du vide fait par les vacanciers du mois d’aout. Il aura donc fallu que Reese Witherspoon adapte Là où chantent les écrevisses pour que je m’intéresse de plus prêt au roman de Delia Owens. Cela fait très certainement de moi un mouton, à la traîne qui plus est. Mais j’ai découvert un chef-d’œuvre, dans un genre que je lis peu voire pas du tout. Et n’ai même pas mis les pieds au cinéma, préférant les terrasses et leur spritz.

« Les rumeurs les plus folles courent sur « la Fille des marais » de Barkley Cove, en Caroline du Nord. Pourtant Kya n’est pas cette créature sauvage et analphabète que tous imaginent et craignent. Abandonnée à l’âge de dix ans par sa famille, c’est grâce au jeune Tate qu’elle apprend à lire et à écrire, découvre la science et la poésie. Mais Tate, appelé par ses études, doit partir à son tour. Et lorsque l’irréparable se produit, elle ne peut plus compter que sur elle-même… »

Les marais. Lieu de mystère, isolés de tout et de tous. Difficiles d’accès, par la mer ou par la terre. Foulés par les initiés. Ceux qui admirent la faune, ceux qui aiment s’encanailler ou encore ceux qui y vivent, y survivent, sans autre choix aucun. Personnage principal sans équivoque, refuge hostile malgré lui.

Kya. « La fille des marais ». Sauvage par absence de choix. Livrée à elle-même, elle a appris à se battre contre ses peurs, à s’adapter à cette vie imposée et à s’en créer une autre. Jusqu’à ce qu’elle devienne femme, et que les dangers se fassent sentir. Jusqu’à ce qu’elle entrevoit les étoiles et qu’on les lui ravisse. Par préjugés. Par peur de la différence. Par peur d’une femme indépendante.

Là où chantent les écrevisses de Delia Owen est un ravissement onirique, au cœur de la nature dans ses attraits les plus sauvages. Que l’Homme arrivera toujours a surpasser par sa cruauté, prouvant à nouveau que son ignorance et son arrogance sont sa propre menace.

Belle lecture à vous !

Là où chantent les écrevisses de Delia Owens est disponible aux éditions Points

Tournevis – Oscar Coop-Phane

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« Il avait envie de tomber, de courir, d’être emporté au loin, comme une rivière » d’après La Statue mutilé de T. Williams. Quand on se sait condamné – à une vie d’errance, de misère, à une fin inéluctable – la liberté nous semble être la plus douce des possibilités.

Tournevis, Oscar Coop-Phane

Le permis de conduire et moi c’est une longue histoire. J’en suis titulaire depuis plus d’années que de doigts que mes mains peuvent compter mais le chemin de l’obtention fut épique. Moi qui n’aie jamais aimé les QCM, le code a été pour moi un supplice multiple. La pratique a été pire, à tel point que j’ai changé par deux reprises d’auto école et que je m’étais résignée à rester enfermer dans un donjon telle Raiponce. L’obtention de ce papier rose a longtemps été le symbole de liberté, puis d’angoisse, et maintenant oublié au fond de mon sac à main.

Le permis de conduire. Ce sésame rêvé par le narrateur, le sus nommé Tournevis, comme symbole de sa liberté tant chérie, lui qui n’a pourtant aucun fil à la patte. Ce but dans la vie, celui qui lui permet d’avancer, celui qui lui donne une perspective. Dont un échec va avoir un effet papillon dévastateur sur sa vie. « D’un côté, un jeune homme, seul, raconte sa vie et son ultime tentative pour s’en tirer. Enfant placé de foyer en foyer, désormais orphelin, majeur et libre, il veut partir. Avec ses maigres économies, il s’inscrit dans une auto-école pour passer son permis et trouve une voiture abandonnée où vivre provisoirement.
De l’autre côté, trois individus, une femme, deux hommes, attendent dans une maison du Sud de la France. Ils ne se connaissent pas, travaillent pour une organisation, sont chargés de trouver un homme pour l’accueillir, prendre soin de lui, et enfin le livrer. Mais à qui et pourquoi 
? »

Deux narrations. L’une omnisciente, qui présente trois personnages liées par un tacite pacte avec leur propre démon. L’autre, à la première personne. Deux narrations alternées, qui se font échos, dont on sent l’entrelac poindre au fil des pages. Dont la tension dramatique dépend. Dont un drame que l’on sait depuis la première page se forme.

Deux narrations. Deux prisons. La vie à trois inconnus dans un but précis, dans une danse parfaitement chorégraphiée d’habitudes et de manies, pour tenir jusqu’au bout. La vie seule, en marge, quand celle en communauté n’a apporté que mépris et violence. Une confiance qui ne peut plus être accordée sans savoir qu’il y aura toujours un prix à payer.

D’Oscar Coop-Phane, je suis tombée amoureuse de sa plume. Incisive, vive et caustique. De se regard clinique qu’il porte sur le monde, ses semblables, sans pathos ni jugements, mais dont il dépeint à merveille les pires exactions. J’ai lu Tournevis en quelques heures, d’une traite. De cette apnée dont vous savez que vous ne ressortirez pas indemne. En bref, j’ai beaucoup aimé son dernier roman.

Bonne lecture à vous !

Tournevis d’Oscar Coop-Phane est disponible aux éditions Grasset

Sœurs – Daisy Johnson

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Sœur : (nom féminin) personne de sexe féminin, considérée par rapport aux autres enfants des mêmes parents. Egalement, nom donné à une femme à laquelle on est lié par une grande tendresse. Quand l’image de sa sœur ainée, exemple ultime de ce qu’il faut être, ce qu’il faut faire, devient sublime au point d’en perdre sa personnalité. De perdre sa propre essence.

Sœurs, Daisy Johnson

Septembre. Mois qui signe la fin de l’été, de cette langueur moite qui vous immobilise pendant deux mois. Mois qui marque la fin d’une vie en suspens, passée à grande vitesse, au fil des nuits trop courtes, des terrasses chargées de Spritz et de volutes de fumée. Mois qui marque la rentrée, le retour aux responsabilités mais au sein duquel on souhaite continuer cet été qui prend fin.

Juillet. Et dix mois plus tard, l’été recommence. Qu’on espère meilleur que le précédent. Qu’on espère plus lent, plus patient. Qu’on veut vivre pleinement, sans rien en perdre. Qu’on préfère car par sa nouveauté, sa fraîcheur. Sur lequel on pose nos espoirs, ceux qui rachèteraient nos erreurs passés.

Septembre et Juillet. Sœurs. Inséparables, fusionnelles. Septembre et Juillet. Les Sœurs de Daisy Johnson. « Juillet a une sœur de dix mois son aînée, Septembre. Elles sont inséparables. Mais Septembre peut se montrer terrifiante. Elle pousse Juillet à faire des choses qu’elle ne veut pas. Et, comme hypnotisée par le regard noir de sa sœur, Juillet obéit. Depuis « l’incident », tout a changé. Elles ont dû déménager loin d’Oxford avec leur mère Sheela, écrivaine pour enfants, dans une vieille maison au bord de la mer, qui, si l’on tend bien l’oreille, semble animée d’une vie propre. Le sommeil y est impossible et les rêves sans fin. L’atmosphère devient brumeuse et étouffante pour Juillet. Tandis que les deux adolescentes font leurs premiers pas dans le monde du désir et de la sexualité, un vent de violence se lève. »

Deux sœurs. Une cadette vivant dans l’ombre de son ainée, imposante par sa personnalité et son amour qu’elle distille avec rage et haine mélangée. Deux sœurs en autarcie, se défiant des autres. Vivant à travers l’autre. Vivant aux travers des romans de leur mère qui a romancé leurs vies dans ses romans pour enfants. Des parents absents. Un père décédé. Une mère sédatée. Une fuite, une exode dans cette maison isolée au bord de mer, habitée des souvenirs des défunts qui reprennent vie en ces quatre murs. Une adolescence et sa perte de l’innocence. Une adolescente et sa perte de repère, sa perte d’elle-même. On navigue entre songes et réalité, entre cauchemars enfouis et rêve éveillé.

Avec Sœurs, Daisy Johnson signe un roman puissant sur la relation fusionnelle de deux sœurs, à l’orée de leur vie d’adulte. Puissant et noir à souhait. Une lecture comme je les aime tant.

Bonne lecture à vous !

Sœurs de Daisy Johnson est disponible aux éditions Stock