Calamity Gwenn – François Beaune

2020, Rentree Litteraire

Calamité : (nom féminin) Grave infortune personnelle ou simple inconvénient, mais aussi personne qui n’apporte que des ennuis. Deux lignes de définition distincte dans le dictionnaire, qui se mêlent entre elles dans la vie, après tout.

Paris. Ville lumière aux ténèbres éclairées. Ville aux deux visages. Sage, avec ses monuments – musée à ciel ouvert s’il en est – sa vie arty propre sur elle, ses restaurants sans gluten. Une jeune fille policée bien sous tout rapport le jour. Punk, avec ses nuits fiévreuses qui finissent au petit matin, ses noctambules endiablées qui convergent vers l’ultime point de ralliement, Pigalle. Une jeune fille qui fait le mur, assoiffée de liberté et en quête d’expérience la nuit.

Pigalle. Quartier schizophrène, à la population éparse et hétéroclite. Où tes pas te mènent invariablement, que tu sois un touriste en goguette, aux aguets de stupre bon chic bon genre ou cet individu grammé prêt à vivre des expériences improbables, et dont les souvenirs sont d’emblée incertain.

Gwenn. Notre héroïne aux deux visages, qui définit parfait la dichotomie de ce quartier où elle travaille, de cette ville où elle vit. Gracile et fragile, une Isabelle Huppert en devenir qui stagne dans un monde aux brutes opiacées auxquelles elle n’a de cesse de s’accrocher. Bienvenue dans le paradis artificiel dépeint laconiquement dans l’intimité de son journal. Bienvenue chez Calamity Gwenn de François Beaune : « Gwenn a 30 ans. Elle est belle, libre, aussi drôle que désespérée. Elle a toujours rêvé d’être Isabelle Huppert mais pour le moment elle travaille dans un sex-shop à Pigalle, parfait poste d’observation de ses semblables qu’elle saisit avec humour et tendresse dans son journal intime où elle raconte, entre autres, sa vie nocturne, ses virées, ses amours.« 

Qu’il est facile de se perdre dans les limbes lorsque la seule chose à laquelle nous nous raccrochons est un rêve inaccessible. Le fantasme de devenir actrice, à Hollywood, a été mainte fois dépeint. Le miroir aux alouettes et la triste vérité qui se cache derrière. Peu d’élues et à quel prix*. Le fantasme de devenir une icône française, beaucoup moins. Car à mes yeux c’est ce que sont nos rares actrices, des icones talentueuses, parfaites images de papier glacé qui dégage ce « je ne sais quoi » de « chic à la française ».

Au travers des mois d’une année débridée, Gwenn narre ses pensées, ses histoires, sa vie – d’avant, de maintenant – ses galères, ses plans dopes, dans un nuage opiacé, dans un monde de la nuit tentant et dangereux, aux gentils Freaks et vrais méchants. L’âge de raison que la trentaine pousse à poser un constat sur sa vie, ce qu’elle est et ce qu’elle aimerait.

J’ai aimé lire les mots de cette Calamity Gwenn, sous la plume de François Beaune, que j’ai trouvé touchante. Une amazone en manque d’amour dans un le Pigalle de la nuit est pour moi la parfaite image des anti héroïnes des temps modernes. Et pour cela, elle ne pouvait que me plaire.

Belle lecture à vous !

Calamity Gwenn de François Beaune est disponible aux Editions Albin Michel

*Je vous conseille la géniale série Holywood de Ryan Murphy, disponible sur Netflix.

Caca’s Club

2020, Feel Good, Rentree Litteraire

Rire : (verbe intransitif) Exprimer la gaieté par un mouvement de la bouche, accompagné d’expirations saccadées plus ou moins bruyantes. Rire n’est jamais aussi salvateur que quand c’est spontané et naturelle, et que les larmes viennent d’elles-même, et ce en fonction de tout à chacun. Rire perdrai de sa splendeur si on en faisait un automatisme de bienséance policée. Cela signifierai en partie une fin de la liberté. Celle d’être soi même si différent des autres. 

L'homme qui pleure de rire, Frédéric Beigbeder

Il y a deux auteurs qui m’auront marquée à mon entrée dans l’âge adulte. Bret Easton Ellis et Frédéric Beigbeder. Mon premier, de l’autre côté de l’atlantique . Il dépeint les travers d’une jeunesse dorée dépravée, revenue de tout. De la côte est à la côté ouest. Il écorne, égratigne voire même écorche à vif l’image du rêve américain, vaste miroir aux alouettes sous psychotropes.  C’est cru, nauséeux et nauséabond. Un pur délice. Mon second quant à lui est un noctambule avéré, issu du Paris aisé et bourgeois. Il dépeint les mœurs françaises aux vitrioles, surtout les élites de la bien-pensance – dont il fait lui même parti – en revisitant avec un cynisme certain et une hauteur embrumée ses expériences professionnelles et personnelles.

La parution des romans de ses auteurs est toujours pour moi un moment d’allégresse, certaine que je vais passer un moment particulier et suspendu, dans une bulle désabusée du monde contemporain. C’est dans cet état d’esprit que j’ai entamé ma lecture de l’Homme qui pleure de rire, de Frédéric Beigbeder. « Octave Parango a travaillé dans la publicité durant les années 1990 et dans la mode durant les années 2000. Il est désormais humoriste à 8h55, le jeudi matin, sur la plus grande radio nationale de service public. L’homme qui pleure de rire clôt la trilogie d’Octave Parango sur les aliénations contemporaines : après la tyrannie de la réclame puis la marchandisation de la beauté féminine, Frédéric Beigbeder s’attaque à la dictature du rire. Une satire réjouissante des dérives de notre société de divertissement. »

Un smiley comme titre de couverture. C’est osé. Un affront à la beauté des mots d’un titre. C’est très bien pensé. Il y a quelque chose de pathétique dans ce petit personnage visage, impersonnel, de travers, les larmes aux yeux. Sans contexte aucun. Un smiley comme ponctuation finale. Un hommage 2.0 à l’Homme qui rit, de Victor Hugo.

L’histoire part de son éviction de France Inter, suite à une absence de chronique. Un suicide professionnel en direct, devant des collègues désabusés. Et un public … médusé ? habitué ? cela, nous ne le saurons pas. Nous investiguons sur la genèse de ce fiasco, heure par heure, dans la nuit parisienne. Fantôme de ce qu’elle a été, sa superbe envolée, sa liberté perdue. Sur fond de transmutation de l’ordre en place, la révolte des gilets jaunes en second plan. Des délinquants qui mettent la ville lumière à feu et à sang.

Frédéric Beigbeder revient avec nostalgie et quelques facéties, sur les cinquantes années de sa vie. Celui qu’il a été, jeune arrogant aux verbes hauts, à la blague potage et au menton comme étendard. Fondateur du Caca’s Club. Haute institution festive parisienne, basée sur l’entre soi. Ses nuits parisiennes. L’évolution des mœurs. Paris comme chimère de son passé de célibataire, flash-back en noir et blanc d’une époque révolue, mis en parallèle de sa vie de parent au bord de l’océan, qu’il compare à un dessin animé en technicolors pixelisé.

Avec L’Homme qui pleure de rire, Frédéric Beigbeder tire un majestueux point final (?) aux aventures de son double littéraire, Octave Parango, avec une plume plus acerbe et qui, je trouve, gagne en qualité au fil des années. La cinquantaine a cela de bon chez lui. Après tout.

Belle lecture à vous !

L’Homme qui pleure de rire de Frédéric Beigbeder est disponible aux Editions Grasset

le monde en mauvaise intelligence

2020, Rentree Litteraire

Journal : (nom masculin) Ecrit portant sur la relation quotidienne aux événements, qui confèrent souvent de l’intime. Un journal, c’est un jardin secret où on se sent libre de penser sans se juger ou être jugé. Il est le reflet de nos états d’âme, de nos joies et de nos peines. Je n’en ai pour ma part jamais tenu. Mais il y aurait eu matière pourtant.

La séparation, Sophia de Seguin

Sophia a tenu un journal intime. Elle y a couché ses pensées, saugrenues et profondes, professionnelles et personnelles. Sur le monde, celui qui l’entoure et dans lequel elle vit. Et sur son monde, celui de la rupture. De cette indigeste séparation avec l’être aimé. De ses rencontres improbables et ce besoin d’être aimé. Parce que c’est consensuel. Parce que c’est ce qui est attendu de nous. Au fil de ses idées est évoquée la relation au parent. La toxicité de la mère, l’adoration du père. L’idée de l’enfant roi qui crée des adultes gâtés. Incapables de créer une relation. L’idée que nous sommes des pantins désarticulés, ne sachant avancer que par les ficelles qui sont tirées pour nous.

Son travail. Sa vie parisienne. Ses plans culs. Tout est jeté pèle-mêle. En pâture aux pages blanches de son journal, que Sophia de Seguin grisent de ses pensées : « La Séparation est le récit, tragique et drôle, d’une vie au bord de la rupture. Après une séparation amoureuse, une femme tient le journal intime de ce qui lui arrive, sans souci de tomber.« 

On saute d’un sujet à un autre, avec en filigrane sa relation avortée avec Adrien. Les maux qui la submergent. Sa vie avec lui. Sa vie sans lui. Beaucoup de larmes et de peines. Pour un embryon d’avenir. De son prisme à elle. Elle l’aime, jusqu’à l’obsession. Tout du moins elle aime l’idée de l’aider et d’en souffrir. Le drame de la vie sublimé par la noblesse des sentiments. Il se joue d’elle jusqu’à la lassitude. Elle est lassée de lui jusqu’à l’écœurement. S’accroche malgré tout à cette idée de relation. Cette idée de perfection qui n’a jamais existé. Qu’elle enjolive au fil des jours qui s’écoulent. Ce journal, dans sa relation nauséabonde, j’aurais pu l’écrire. Dans le ressenti. Dans le vécu. Dans cette quête absurde d’un amour destructeur.

On y ressent un certain mal être également. La boulimie. La déprime. La solitude. L’alcool pour oublier plutôt que pour fêter. Une vie qu’il n’est pas facile de subir. Petit à petit le deuil se fait. Et tel un serpent, une mue s’applique à travers ces pages griffonées. C’est cru, c’est sans filtre. C’est vrai tout simplement.

C’est assez intimidant de rentrer dans une intimité sensée être verrouillée au regard des curieux et des indiscrets. Et c’est sans filtre que Sophia de Seguin nous dévoile la sienne, par bribes parcellaires, comme un puzzle à recomposer. Puzzle composant ainsi dix-neuf mois de sa vie. Et c’est ce qui m’a plu dans La Séparation.

Belle lecture à vous !

La Séparation de Sophia de Seguin est disponible aux Editions Le Tripode