Les jours brûlants – Laurence Peyrin

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« – Est ce que je suis envahissante ? Terriblement quand tu n’es pas là. » Cet extrait du Clair de Femme de Romain Gary comme incipit, d’un romantisme exacerbé, ouvre magnifiquement le roman à suivre. Après tout, n’est ce pas dans l’absence que nous prenons réellement compte de la valeur de ce que nous aimons.

Partir sans se retourner. Laisser sa vie derrière soi et essayer de ne rien regretter. Image dramatique au possible à laquelle on associe l’homme descendu acheter des cigarettes et qui ne remontera jamais. Mais y associe-t-on une femme ? Moi, jamais. Peut être parce que je ne conçois pas cela comme un geste de bravoure, mais de lâcheté sans nom. Dans certains cas pourtant, la lâcheté n’est pas en cause. Quand tout plaquer est signe de nécessité, de survie. Ce n’est pas infliger de la douleurs aux aimés que l’on cherche, mais la rédemption.

Partir sans se retourner. Se retourner voudrait dire vaciller. Se fuir soi même. Tout du moins cette personne que l’on devient, que l’on est devenue mais qui ne nous convient pas. En laquelle on ne se reconnait pas. Qui nous effraie, nous et notre entourage.

Partir sans se retourner. Par amour et par sacrifice. Par besoin impérieux, tel est le choix de Joanne, l’héroïne de Nos jours brûlants, de Laurence Peyrin. « À 37 ans, Joanne mène une vie sereine à Modesto, jolie ville de Californie, en cette fin des années 1970. Elle a deux enfants, un mari attentionné, et veille sur eux avec affection. Et puis… alors qu’elle rentre de la bibliothèque, Joanne est agressée. Un homme surgit, la fait tomber, l’insulte, la frappe pour lui voler son sac. Joanne s’en tire avec des contusions, mais à l’intérieur d’elle-même, tout a volé en éclats. Elle n’arrive pas à reprendre le cours de sa vie. Son mari, ses enfants, ne la reconnaissent plus. Du fond de son désarroi, Joanne comprend qu’elle leur fait peur. Alors elle s’en va. Laissant tout derrière elle, elle monte dans sa Ford Pinto beige et prend la Golden State Highway. Direction Las Vegas. C’est là, dans la Cité du Péché, qu’une main va se tendre vers elle. Et lui offrir un refuge inattendu. Cela suffira-t-il à lui redonner le goût de l’innocence heureuse ? »

La vie de Joanne Linaker pourrait être la définition du rêve américain des années 1970. Housewife heureuse et épanouie dans un foyer aimant où rien ne manque. Un équilibre parfait que rien ne pourrait entacher. Malheureusement non. Il aura suffit d’un junkie en manque pour que sa vie bascule. Que ses certitudes volent en éclat. Que sa vie parfaitement huilé perde son sens et que tout déraille.

L’innocence s’est à jamais envolée. La retrouver peut être pas. Mais affronter ses pires affres et ceux des autres dans une ville qui ne dort jamais paraît être une bonne option. Un road trip d’abord. Un refuge ensuite, dans une famille de fortune au sein d’un club de strip-tease. Un chemin initiatique personnel pour panser des plaies plus profondes qu’il n’y paraissait.

Avec Les jours brulants, Laurence Peyrin nous livre un roman sublime, un road trip initiatique qui nous fait écho. Il me tarde de lire plus de romans de cette auteure.

Bonne lecture à vous !

Les jours brûlants, Laurence Peyrin est disponible aux éditions pocket

Vice, Laurent Chalumeau

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Vice : (nom masculin) (d’après le roman) « Pas au sens d’activité criminelle liée à l’industrie du sexe. Ou de tendance malsaine induisant des pratiques dégradantes […]. « Vice » au sens de défaut, de trucs qu’on fait mais qu’on ne devrait pas parce qu’ils ne sont pas forcément excellentissimes pour soi. »

Vice, Laurent Chalumeau

Boulevard de la Mort. Un Tarantino sous forme de road movie déjantée, donnant la part belle à des héroïnes de caractères, sans peur et avec un fort désir de vengeance à quiconque viendra les déranger. D’autant plus que ce quiconque se trouve être un psychopathe de la pire espèce.

Thelma et Louise. L’un de mes Ridley Scott préféré. Deux femmes en weekend pour fuir le quotidien d’un homme abusif, qui se transforme en une cavale mémorable. Cher prix à payer que la défense de leur liberté et de leur vertu.

Vice. Mon premier roman de Laurent Chalumeau. Esperanza Running-Wolf son héroïne qui se met en danger par le simple fait d’être libre, sans entraves et d’embrasser ses désirs, quels qu’ils soient. Ces femmes ont cela en commun de ne croiser que des sociopathes, qui semblent s’octroyer le droit de vie et de mort sur elles. « Une femme libre, ça ne paraît pas grand-chose. Mais pour certains, c’est déjà trop. Comme un vice à corriger.
 C’est ce que va découvrir Esperanza Running-Wolf, 45 ans, directrice de musée vivant sur la côte Ouest des Etats-Unis, femme indépendante, fraîchement séparée du père de sa fille, lequel s’apprête à devenir procureur général de son Etat. Quand le roman s’ouvre, elle profite de sa liberté retrouvée, sort et couche avec qui elle veut, notamment ce chanteur aux airs de bad boy dont le physique compense le manque de subtilité. Elle vient aussi de rencontrer Nick, un photographe avec qui elle entretient une relation épistolaire et numérique a priori sans ambiguïtés (il est marié et vit à l’autre bout du pays) mais pas moins intense. Seulement les choses vont s’emballer et celle qui pensait tout contrôler va se retrouver en danger  : le flirt virtuel devient une histoire d’amour impossible et Nick une obsession pénible ; le bad boy tombe amoureux et se fait menaçant. Et si ce type sympa qui la courtise était finalement le meilleur choix ? L’un d’eux finira par vouloir la faire payer. Mais lequel  ? Et pourquoi déjà ?
« 

Un roman comme un scénario de film. L’histoire d’une vie racontée à son esthéticienne et amie durant les soins prodigués, sous forme de flashback. Mêlant pêle mêle sentiments, actions et réflexion. Celui de la protagoniste mais également celui du narrateur.

Une lecture en un seul bloc, pour ne pas perdre le film, de ses échanges en franglais, ponctués de musique de Country. Et cette sensation lancinante de lire un scénario, que l’on va entendre à tout moment un « Action ! » et que la caméra va s’amuser à nous perdre, à zoomer sur un détail insignifiant ou passer la scène en traveling à une vitesse folle.

Vice ou une lecture atypique. Il m’aura fallu une trentaine de pages pour me prendre au jeu de l’intrigue et de l’écriture incisive et à vif de Laurent Chalumeau, qui manie habilement le verbe et nous subjugue. Si vous commencez Vice, soyez certains de ne pas être en mesure de le poser avant la fin.

Bonne lecture à vous !

Vice de Laurent Chalumeau est disponible aux éditions Grasset

De mon plein gré – Mathilde Forget

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Coupable : (nom masculin) qui a commis une faute. Blamable, condamnable. Il arrive que ce soit la victime qui endosse ce statut, par un quiproquo, par un jugement de valeur trop hâtif de la part de ses pairs ou par un syndrome de Stockholm développé a posteriori.

De mon plein gré, Mathilde Forget

La culpabilité peut prendre différent visage. Le pire qui soit est d’endosser une responsabilité, une faute qui n’est pas la notre. De se faire blâmer pour un tort que nous avons subit et non commis. Comme quand votre petit frère vous accuse des pires maux parce que vous avez eu le toupet de lui tirer la langue. Enfant, ca n’est qu’un jeu sans grande incidence, même si ce sentiment d’injustice est déjà bien présent. Adulte, c’est votre vie, votre avenir, votre santé qui se joue insidieusement.

« Elle a passé la nuit avec un homme et est venue se présenter à la police. Alors ce dimanche matin, au deuxième étage du commissariat, une enquête est en cours. L’haleine encore vive de trop de rhum coca, elle est interrogée par le Major, bourru et bienveillant, puis par Jeanne, aux avant-bras tatoués, et enfin par Carole qui vapote et humilie son collègue sans discontinuer. Elle est expertisée psychologiquement, ses empreintes sont relevées, un avocat prépare déjà sa défense, ses amis lui tournent le dos, alors elle ne sait plus exactement. S’est-elle livrée à la police elle-même après avoir commis l’irréparable, cette nuit-là  ? »

Un texte court et morcelé. Décousu même parfois. Alternant le point de vue de la narratrice, qui laisse entrevoir certaines de ses faiblesses et fêlures. Choquée de l’agression subie. Traumatisée par la série de questions et d’examens qui s’en suivent. Des bribes d’interrogatoires retranscrites. Le point de vue de la victime qui se sent coupable confronté au coupable qui se joue en victime.

L’auteur brouille sciemment les pistes en se posant telle une coupable d’emblée. Coupable de quoi ? Sera la question qu’on aura cesse de se poser tout au long de cette lecture. Si c’est de vivre et d’exister, nous le sommes toutes alors.

De mon plein gré de Mathilde Forget est un texte court, fort et perturbant, qui se lit d’une traite et laisse dans son sillage un sentiment nauséeux, poisseux.

Bonne lecture à vous !

De mon plein gré, de Mathilde Forget est disponible aux éditions Grasset