Des matins heureux – Sophie Tal Men

Feel Good

« Chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière. » Les Contemplations, Victor Hugo. S’il ne devait y avoir qu’un poète, ce serait lui. S’il ne devait exister un seul et unique recueil se serait celui-ci. Dans chaque vers une résonance à un sentiment, une sensation, une situation. La perfection est Romantique.

Des matins heureux, Sophie Tal Men

J’ai longtemps connu un rapport complexe à la nuit. Elle me fascine tant qu’elle m’effraie. Petite, elle me donnait des terreurs irrationnelles et des angoisses assez marquées. Adolescente, je la vivais à demi éveillée, à demi consciente, dans un état hébétée propre aux insomnies. Jeune adulte, elle était mon terrain de jeu et de cernes marquées au petit matin, mais également le théâtre de mes crises d’angoisse et autres névroses. La tempête s’est calmée, et quand j’ai finalement su apprécier mon sommeil, c’est la maternité qui m’en a tiré, pour le meilleur.

Pourtant, la nuit je l’aime et la guette. Préférant l’hiver à l’été, j’aime quand elle nous enveloppe en fin de journée, avec ses frimas, qu’il soit seize heures ou vingt-deux heures. Je n’ai plus peur de l’affronter, je la vis sereine désormais. Le dernier roman de Sophie Tal Men, Des matins heureux a ainsi trouvé quelque écho en moi. « Dans le quartier du Montparnasse à Paris, Elsa, Marie et Guillaume se croisent sans le savoir. Si le jour, leur quotidien les éloigne, le soir, tous trois affrontent une même peur de la nuit. Elsa se réfugie dans le bus pour éviter la violence de la rue, Marie, qui vient de quitter Brest, multiplie les gardes à l’hôpital pour combler son vide sentimental, et Guillaume retarde la fermeture de son bar afin de fuir la solitude.
C’est au détour d’un Lavomatic, d’un irish pub ou par le biais d’une annonce sur Leboncoin qu’ils finiront par se trouver. Mais parviendront-ils, ensemble, à aller jusqu’au bout de leur nuit ? A se reconstruire ? Des matins heureux est le roman des nouveaux départs, la rencontre de trois personnages blessés, touchants dans leur fragilité, inspirants dans leur force de résilience.
« 

Une fois n’est pas coutume, l’auteure nous fait quitter la Bretagne et son Finistère, et plante son intrigue dans la bouillante et bouillonnante Paris. Mais, notre héroïne bretonne Marie ne s’aventure pas plus loin du XIVe arrondissement, la petite bretagne parisienne somme toute. J’ai reconnu les lieux : les sons, les images, les odeurs de la rue ont imprégnés ma lecture de souvenirs pas si lointains.

Trois personnes aux antipodes que rien ne prédisposaient à se rencontrer. Trois âmes blessées en quête d’une nouvelle chance, d’une nouvelle vie. Et c’est la chance qui va les mettre sur le chemin des uns des autres, qui va faire leur destin se croiser. Et se mêler, pour se tourner autour farouche et craintif, s’apprivoiser et finalement se trouver. Et commencer à appréhender ce qui leur fait peur. Leurs angoisses, leurs passés, leurs sentiments. Et finalement affronter cette nuit tant honnie ensemble.

Ce que j’aime dans les romans de Sophie Tal Men, c’est la familiarité des lieux et des personnages, qu’on retrouve d’un roman à un autre. Prenant un à un la parole pour nous livrer leurs doutes et leurs sentiments. Et Des matins heureux ne fait pas exception à la règle.

Bonne lecture à vous !

Des matins heureux de Sophie Tal Men est disponible aux éditions Albin Michel

Les écailles de l’amer Léthé – Eric Metzger

Feel Good

« …quel est le plus fou, de celui qui l’est ne pouvant faire autrement, ou de celui qui l’est par sa volonté ? » Don Quichotte de la Manche, Miguel Cervantes. Vous avez quatre heures pour répondre à cette question. Ou vous pouvez vous perdre dans la folie ordinaire et dans le vie de Cookie, le combattant. (La deuxième solution est plus agréable) (d’autant plus agrémenté d’un verre).

Les écailles de l'amer Léthé, Eric Metzger

La folie. Elle peut prendre bien des formes, raisonnée à passionnée, mesurée à incontrôlable. Nous sommes tous le fou de quelqu’un. Parce que nous sortons du cadre, nous ne rentrons pas dans un esthétique bourgeois policé, par que nous ressentons différemment les situations, les événements, les sentiments.

La folie. De celle qui fait peur à celle devenue ordinaire. Dont on est inextricablement prisonnier. Incompris. Quand les seuls êtres à nous comprendre sont des auteurs décédés de quelques siècles ou un poisson dans son bocal qui est attiré par leurs mots, où nous situons nous sur l’échelle du socialement acceptable ?

Bienvenue dans Les écailles de l’amer Léthé, le dernier roman d’Eric Metzger : Le héros de cette histoire est un solitaire. Qui fuit les prises de décision et les responsabilités. Aussi se trouve-t-il bien embarrassé de se voir confier la charge d’un poisson combattant. Baptisé Cookie dans un moment de panique, le poisson bouleverse les habitudes de cet homme. Dans une tentative désespérée pour créer un lien avec cet animal qui tourne en rond dans son aquarium carré, il commence à lui lire un poème de Baudelaire. Soudain, le poisson se fige, attentif. Une série de tests s’ensuit. Cookie n’apprécie pas les guides de voyage, ni les modes d’emploi. Seule la littérature le captive. Suffira-t-elle à le sauver ?

Un roman en trois actes. Telle une tragédie contemporaine, celle de Cookie le combattant. Celle de son maître, de son compagnon de vie, qui lui lis des romans, ou plutôt qui les vit par sa lecture. Celle d’un homme que l’on devine à part, reclus dans une bulle qu’il s’est créé. Pour mieux vivre son déni de réalité. De cette réalité tragique qui brise une vie, et dont les morceaux peinent à être recollés. De surcroît de travers.

Du narrateur – si ce n’est je – nous ne connaîtrons pas son prénom. Plus facile dans ce cas d’avoir des points communs avec cette personnalité atypique, non identifiée, qui n’est personne et qui peut être tout le monde à la fois. Nous connaissons de lui son attachement aux classiques de la littérature, immuables, qui ne peuvent plus disparaitre. Tel un phare dans la brume d’une vie.

Avec Les écailles de l’amer Léthé Eric Metzger nous offre un roman ubuesque, qui donne la part belle à un poisson, le sus nommé Cookie dont j’ai aimé à suivre les pérégrinations, les états d’âme littéraire. En bref la vie trépidante dont il a rêvé dans son bocal.

Bonne lecture à vous !

Les écailles de l’amer Léthé d‘Eric Metzger est disponible aux éditions de l’Olivier

L’homme que je ne devais pas aimer – Agathe Ruga

Feel Good

« Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ; // Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue. » Cette citation du Phèdre de Racine résume parfaitement la passion amoureuse, de celle qui rend irrationnelle et vous transporte, jusqu’à s’en brûler les ailes.

L’homme que je ne devais pas aimer, Agathe Ruga

Présumer de la vie des inconnus. Qu’il est si facile de le faire, de quantifier et qualifier leur bonheur à notre échelle de perception, de convenance, de pensée. L’émergence des réseaux sociaux a été – est toujours – en ce sens un fléau. De belles photos, des instants volés, figés, où tout n’est que perfection – tout du moins semble l’être- qui créent l’envie, la jalousie. Qui nous fait voir un bonheur parfait ailleurs.

Présumer la vie des inconnus. Les enfermer dans un carcan, dont ils n’ont pas le droit de sortir. Puisque tel est le chemin que nous leur avons tracé, faisant fi de leur passé, de leur famille, de leur vie. Faisant fi du feu qui les anime ou les consume, des tourments qui les submergent et qui les bercent. Des tempêtes intérieures auxquelles ils sont confrontés. L’impulsion n’a pas sa place, tout doit être millimétré au cordeau.

Présumer de la vie des ceux que nous connaissons est d’autant plus faux que nous ne partageons pas leur intimité. De celle qui existe porte close, volet fermé. De celle qu’on se refuse nous-même à affronter, pour ne pas se confronter à notre réalité. Au risque parfois de tout envoyer valser.

La vie d’Ariane est présumée parfaite. Pourtant, elle s’y perd et s’étouffe, dans cette photographie lisse de papier glacée. L’impulsion, la passion, en bref la liberté ne sont plus pleinement de mise. Jusqu’à la rencontre fatidique, un regard croisé fatal. Jusqu’à ce que le vernis craque, et que les présomptions autres partent en éclat. C’est l’histoire que nous conte Agathe Ruga dans son second roman, L’homme que je ne devais pas aimer. « Il y a un an, je suis tombée amoureuse comme on tombe malade. Il m’a regardée, c’est tout. Dans ses yeux, dans leur promesse et ma renaissance, j’étais soudain atteinte d’un mal incurable ne laissant présager rien de beau ni de fécond. Son regard était la goupille d’une grenade, un compte à rebours vers la mort programmée de ma famille. « Ariane, heureuse en mariage et mère comblée de trois enfants, fait la rencontre de Sandro. Cette passion se propage comme un incendie et dévore peu à peu les actes de sa vie. Ariane est en fuite. L’amour pour son mari, l’attention à son entourage, à la littérature dont elle a fait son métier, sont remplacés par des gestes irrationnels, destinés à attirer l’attention d’un quasi-inconnu. Quels démons poussent Ariane vers cette obsession adolescente ? Quels pères, quels hommes de sa vie ce jeune roi de la nuit ressuscite-t-il ? »

La passion, source de déraison et de folie, de non choix et de coups de tête, de domination à cette sensation d’urgence : celle de n’exister que pour l’autre. A s’en rendre malade, à en perdre partiellement la raison. Le rationnel s’efface peu à peu pour donner vie à une chimère, alimentée de nuits blanches et journées interminables, sans fin. Un répit impossible à invoquer tant l’image de l’autre est imprimée dans notre rétine, notre mémoire, notre peau, notre vie.

Ariane voit sa vie bouleversée par un homme. Mais quels sont les autres qui l’ont autant touchée, qui l’ont construite. Quelle part ont-ils rétrospectivement joué dans cet amour fou, cette folie amoureuse ?

Agathe Ruga livre un roman intime, bouleversant et incandescent, avec l’Homme que ne je ne devais pas aimer. Sous sa plume défile l’urgence de vivre, de jouir d’une vie telle qu’on la souhaite, telle qu’on se l’approprie.

Belle lecture à vous !

L’homme que je ne devais pas aimer d’Agathe Ruga est disponible aux éditions Flammarion