Cher Connard – Virginie Despentes

2022, Contemporain, Rentree Litteraire

« Je suis une merde et je vous emmerde » Extrait de la chanson éponyme de Philippe Katerine

Cher connard, Virginie Despentes

J’ai un affect particulier pour les relations épistolaires. Garder le lien malgré la distance. Se languir de recevoir une réponse à ses questions existentielles et autres déclarations enflammées. L’absence de réponse qui peut être aussi bien due à un oubli, à un courroux qu’à une perte de la missive par les services mandatés, voire même dans la plus vexante des vérités, l’absence de volonté de retour. Rien ne vaut un pigeon voyageur. Ou une chouette. Mais n’est pas Harry Potter qui veut. Les lettes de Flaubert à Louise Collet ou celles de Balzac à Mme Hanska résonnent encore en moi avec un écho particulier. Tant est si bien que je rêve d’entretenir une correspondance manuscrite et épistolaire, avec le talent en moins, l’orthographe illisible du médecin en plus. Que les volontaires n’hésitent pas à se précipiter sur leur plus belle plume.

Le papier et son côté suranné ont laissé place aux messages instantanés et mails, bardés d’abréviations et d’inepties en tout genre. Notre quotidien d’échanges épistolaires, que John Malkowitch avait utilisé avec brio il y a quelques années pour son adaptation 2.0 du roman le plus parfait et le plus moderne qu’il soit, j’ai nommé Les Liaisons Dangereuses. Le pupitre de Valmont demeurait quant à lui celui originel. Certaines choses ne souffrent pas du temps qui passe.

La rentrée littéraire m’a ainsi doublement gâtée. Un nouveau Virginie Despentes. Une joute de textes par échanges de mails. Je trépignais à l’idée de découvrir ce Cher Connard.

«  Cher connard,
J’ai lu ce que tu as publié sur ton compte Insta. Tu es comme un pigeon qui m’aurait chié sur l’épaule en passant. C’est salissant, et très désagréable. Ouin ouin ouin je suis une petite baltringue qui n’intéresse personne et je couine comme un chihuahua parce que je rêve qu’on me remarque. Gloire aux réseaux sociaux  : tu l’as eu, ton quart d’heure de gloire. La preuve  : je t’écris.  »

Oscar. Le sus nommé connard. Auteur en perdition, en perte de repère. Avec la défonce comme mode de vie, ne sachant plus distinguer la réalité sordide de sa vie fantasmée. Une vie solitaire mais une solitude non tolérée.

Rebecca. L’actrice mûre devenue gironde au fil des années et de sa consommation d’alcool et drogues en tout genre. Un franc parlé et une personnalité explosive. Lauren Bastide dans son podcast la Poudre l’imaginait en Béatrice Dalle. C’est à cette image que je l’associe désormais.

Une rencontre entre deux fortes personnalités, qui commencent par des étincelles en réaction au scandale Mee too qui touche l’auteur sur le déclin. S’en suivent des échanges qui interrogent la société, écornent la bien pensance, écorchent la bien séance. La rencontre deux punks vivant trop tard dans un monde trop vieux. Nostalgiques d’une époque qui n’est plus. Où l’intensité des sentiments n’étaient pas gérée ni vécue de la même manière.

Au milieu de cette joute, une jeune femme, Zoé Katana, celle qui cristallise le scandale et la haine qui en découle. Au nom tranchant mais à l’âme éparpillée façon puzzle. Brisée par son époque portée par le paraitre et la haine gratuite, portée via les réseaux sociaux entre autre. Chaire à canon sacrifiée sur l’autel du féminisme.

Avec Cher Connard, Virginie Despentes fait un portrait au vitriol de notre société contemporaine, en n’épargnant absolument personne. Un classique en devenir de l’ère après covid.

Bonne lecture irrévérencieuse à vous !

Cher Connard de Virginie Despentes est disponible aux éditions Grasset

La déraison – Agnès Martin-Lugand

Contemporain

« Il n’y a de vrai au monde que de déraisonner d’amour » Alfred de Musset, Il ne faut jurer de rien. Si c’est un romantique qui le dit – d’autant plus celui qui est « né trop tard dans un monde trop vieux « – on ne peut que le croire. Voire le vivre. Sinon le lire.

Il y a certains auteurs dont on tombe amoureux. Du style, de la plume, de la dépression prégnante dans certains cas, de l’optimisme exacerbée dans l’autre. Il y a certaines histoires qu’on se plait à vivre par la lecture, tant elles sont fortes. Tant l’amour est fou, passionnel. Guérisseur et destructeur. Tant les protagonistes nous semblent vrais. Tant les sentiments sont réels. Tant les larmes coulent d’elles-mêmes au fil que les pages se tournent.

Chaque année c’est la même chose. Je me fait happer par la plume d’Agnès Martin-Lugand, pour la lire d’une traite, m’immerger en totalité dans l’histoire qu’elle me livre. Et comme à l’accoutumé, je suis submergée de milles émotions. La Déraison n’a pas fait exception à la règle. « Une femme aux portes de la mort. Un homme incapable d’en finir avec la vie. Leurs deux voix s’élèvent tour à tour pour nous confier leur histoire, leurs maux, leurs démons, et plus que tout l’amour fou. Un amour qui inspire, réunit et sauve autant qu’il a pu détruire et séparer. »

Certaines rencontres sont des évidences, des fulgurances. Elles effacent tout sur leur passage, quelles soient pérennes ou éphémères. Adolescentes, elles façonnent l’adulte en devenir. Adultes, elles font ressurgir cette part d’enfance souvent enfouie profondément. Cette folie que l’on pensait éteinte, cette soif de vivre inaltérable.

Certaines rencontres scellent notre destin malgré elles. La passion nous consument, la raison fait grise mine, vivre ou survivre devient un sacerdoce. La mort comme délivrance. L’amour comme phénix, une renaissance des cendres d’un passé que l’on pensait oublié, perdu à jamais. L’amour comme jouet de la fortune, qui se joue de cette dernière à son tour. Avec la musique comme fond sonore, qui nous berce et nous porte.

La Déraison d’Agnès Martin-Lugand. Une explosion des sentiments, de liberté d’appréhender ce qui nous hante, nous plait, nous fait vivre passionnément. Même si ce ne sont que quelques instants. Ephémères mais éternels. La passion sublimée à l’extrême.

Belle lecture à vous !

La déraison d’Agnès Martin-Lugand est disponible aux Editions Michel Lafon