Obsession : (nom féminin) Idée, image, mot qui s’impose à l’esprit sans relâche. Quand l’objet de la cristallisation est le couple des voisins du dessous, épié via un judas de fortune à même le sol, il est de plus en plus difficile de s’en défaire. De distinguer la réalité dans cette brume imaginaire qui obscurcit le jugement. De distinguer la frontière tenue entre ce qui est moral et abjecte. Entre ce qui doit être fait ou doit être tu.

Ma destination idéale de vacances estivales à l’étranger ? La Grande Bretagne sans hésiter. Je fuis la chaleur autant que faire ce peu, en tant que fille de l’hiver. Et la campagne anglaise, me parait être un terrain de jeu parfait pour s’adonner au luxe de la paresse. Cette image réside en grande partie dans mes lectures, où les protagonistes sont allanguis et subissent dans une torpeur non feinte une chaleur harassante.
L’été dernier, au détour de la gare Montparnasse avant de partir en vacances dans ma Bretagne chérie, je découvrais Un mariage anglais de Claire Fuller. Je fus happée par la sublime absence de la figure maternelle. Et par la féroce présence de l’eau, comme ennemi sourd et grondant, tapi et sournois, à la vue et au su tous. Un an plus tard, c’est avec délectation que je retrouvai la plume acérée de l’auteure, avec l’été des oranges amères. Titre qui n’est pas sans rappeler un autre roman de l’été passé, Orange Amère d’Ann Patchett. Histoire poisseuses d’une famille mutilée par l’abandon et la perte.
« À 39 ans, Frances Jellico s’apprête à vivre son premier été de liberté. Enfin délivrée de son tyran de mère, Frances a été missionnée pour faire l’état des lieux du domaine de Lyntons. Jadis somptueuse propriété au cœur de la campagne anglaise, Lyntons est désormais un manoir délabré qui peine à se relever des années de guerre.
Dès son arrivée, Frances réalise qu’elle n’est pas la seule occupante des lieux : Peter et Cara, un couple aussi séduisant que mystérieux, sont déjà installés. Lorsqu’elle découvre un judas dans le plancher de sa chambre – qui lui offre une vue plongeante sur leur salle de bains – sa fascination pour eux ne connaît plus de limites.
Ses voisins se montrent très amicaux, et plus les jours passent, plus Frances se rapproche d’eux. À mesure que l’été se consume, que les bouteilles de vin se vident et que les cendres de cigarettes se répandent sur le vieux mobilier, Frances commence à entrevoir le passé tourmenté de Cara et Peter. La vérité laisse place au mensonge, les langues se délient, les souvenirs ressurgissent, au risque de faire basculer cet été 1969. »
L’amertume des oranges comme madeleine proustienne. Ce souvenir doux amer d’une vie qui n’est plus. Ou pis, n’a jamais été que dans un souvenir factice, une parole inventée. Un huis clos joué comme une tragédie grecque. Des destins damnés aux espérances avortés. Des non dits pesants, des secrets inavoués, des mensonges distillés ça et là, tel un poison à l’antidote inexistant qui se répand.
Août 1969. Un mois d’été lourd, dans une demeure délabrée. Trois destins vont se télescopés et faire voler en éclat leur vie précaire? L’histoire nous est comptée sous la confession d’une mourante aux souvenirs flous, si ce n’est cette demeure qui fut fastueuse. Le décor n’est pas sans nous rappeler Manderley. Une parenthèse désenchantée dans des vies qui le sont tout autant. Un triangle amoureux, où la jalousie et la folie ordinaire sont de mises. Ou les certitudes volent en éclat pour faire vivre des rêves impossibles.
L’été des oranges amères de Claire Fuller est un été caniculaire éveillant les bas instincts des êtres les plus purs, les appétits que l’on croyait inexistants, une vie de possible que l’on croyait hors de portée. Ces croyances de médiocrité sont pourtant fondées. Tout est parti en éclat bien avant que nous nous en soyons rendus compte.
Belle lecture à vous !
L’été des oranges amères de Claire Fuller est disponible aux éditions Stock